La «22» reste la quête du Graal du Citroëniste, la trouvera-t-on un jour?

LA MYSTERIEUSE 22CV DE 1934

Elle pourra se vanter d'avoir fait couler beaucoup d'encre et d'essence pour la retrouver, si on la trouve jamais, La 22 CV c'est «Nessie», le monstre du Loch-ness automobile. Elle est passée par ici, elle repassera par là... air connu. Tout le monde l'a vue mais personne ne sait où elle est, Alors qu'en est il vraiment, je crois qu'elle existe, au moins en un exemplaire car comme beaucoup je tiens une piste sérieuse que je compte exploiter bientôt. Mais commençons par le commencement. Quand Citroën lance sa traction, de nombreuses versions de carrosseries sont déclinées comme le veut l'usage. Suivant depuis toujours le modèle américain et voulant sans doute créer une nouvelle image de marque : constructeur moins «populaire» André citroën lance au milieu de 1934 une gamme intermédiaire à moteur 11 CV, donc plus puissant que celui qui équipe les «7» et, comme il l'a fait avec les C4 et 3, puis avec les Rosalie 8, 10 et 15 - des 4 et 6-cylindres il annonce à l'instar de Ford dès septembre 1934 la naissance de son premier V-8. La Ford V 8 dont la sortie le 21 mars 1932 fut retentissante était la voiture la plus silencieuse, la plus souple et offrant les meilleures reprises du marché, Citroën offrit donc sa 22 CV V8, traitée plus luxueusement qu'une «11 » (pare-chocs doubles, phares encastrés, etc.) et munie d'un moteur vraisemblablement issu de deux moteurs 11 CV accolés à 90° avec carter et boîte de vitesses spéciaux. On dit beaucoup que les essais furent réalisés avec un moteur Ford V-8, ce qui est fort possible mais je le crois pas que cela ait duré longtemps. En effet, un essayeur Citroën de l'époque m'a rapporté qu'il a surveillé un mois durant une douzaine au moins de ces fameux V8 Citroën sur les bancs d'essais de l'usine Gutenberg, l'unité de montage des moteurs-boîtes située derrière Javel. Les moulins tournèrent jour et nuit sans arrêt, à fond le plus souvent, pendant un mois avant d'être déclarés bon pour le service. D'après lui ils étaient excellents tant au point de vue rendement qu'au point de vue robustesse.

Mais le peu que l'on sait de la technique le cette voiture est inquiétant : vite préparée dans la frénésie de problèmes financiers graves, elle est proprement bâclée pour sortir à temps. Elle offre, pour une puissance de 80 CV et un poids de 1300 kg, un ensemble freins, suspension, transmission, coque et direction identique à ceux des autres Traction, donc très sous-dimensionnés. Annoncée pour une vitesse maximale de 140 km/h elle doit, à cette vitesse folle, avoir un comportement routier assez dangereux. N'oublions pas que la "22" est munie de la direction de la petite «7», un système à deux boîtiers, approximatif sur la route, délicat à maintenir à la vitesse de 100 km/h... alors à 140 ..,. On parle d'ailleurs d'un accident et un autre vers la frontière franco-belge - qui aurait eu lieu pendant un essai client où une ou deux personnes seraient mortes, Une information à vérifier mais que tous les anciens de l'usine colportent depuis plus de cinquante cinq ans. Il fut construit quelques exemplaires expérimentaux de la «22» en divers types de carrosserie : roadster, berline, limousine ou familiale et faux cabriolet. Fut-elle jamais vendue à un ou plusieurs clients ? Là-dessus les avis divergent car on ne sait pas grand-chose mais certains faits laissent à penser que oui. Mes recherches personnelles font état d'au moins trois ou quatre voitures achetées par des particuliers et ayant roulé quelques années, même après la guerre.

1- Un cabriolet "22"

2- Une berline "22" (voir ci-dessus)

3- Un coupé (aussi appelé Faux-cabriolet) "22"

Le regretté historien, mon ami Jacques Rousseau, m'avait confié avoir découvert en 1948, dans un garage de province, un coupé "22" légèrement accidenté de l'avant. De la part d'un homme aussi sérieux que lui cette confidence ne laisse aucun doute, ni quant à la nature du véhicule ni quant à la réalité de l'information. J'ai moi-même suivi de nombreuses pistes, certaines aboutissant à une Traction à phares encastrés. une autre me faisant découvrir une 4 CV Renault! J'ai néanmoins retrouvé des photos montrant un roadster muni des éléments de carrosserie de la «22» qui appartenait à un ingénieur de l'usine. Il avait récupéré ces éléments avant qu'ils soient détruits et les avait montés sur sa voiture personnelle. Mais je déroule en ce moment, telle Ariane, un fil qui suit une piste plus chaude que les autres et que je ne peux, hélas! encore dévoiler ici aujourd'hui car elle n'est pas dénouée entièrement, en tout cas elle semble la plus sérieuse de toutes car j'ai vu la photo d'une «22» sur route. A suivre donc...

 

En revanche, j'ai retrouvé des photos bien intéressantes montrant les divers prototypes qui aboutirent à la «22» telle qu'on la connaît, ces photos proviennent des archives de Flaminio Bertoni, c'est lui qui les a prises en secret, pour lui, car elles n'étaient pas destinées à jamais être publiées. Bertoni n'étant pas photographe elles sont d'une qualité assez médiocre. Comme il n'a pas tenu compte de la parallaxe les sujets sont cadrés bizarrement, mais tant pis ce sont des documents uniques, inédits pour certains.

Je me méfie terriblement des souvenirs anciens dont on soutient mordicus qu'ils sont «en béton», En fait, souvent triturés, déformés, enjolivés et cela, bizarrement sans que leur auteur en ait pleine conscience, ils nous arrivent beaucoup trop tronqués pour qu'on leur ajoute foi. Les années qui nous séparent des événements sont le plus souvent responsables de cet état de fait. Cela dit, les souvenirs d'enfance de Bernard Citroën, alors âgé de seize ans, sur la «22» valent ce qu'ils valent, mais, pleins de contre vérités, ils sont à prendre avec des pincettes. Le fils du constructeur a écrit dans Le Matin de Paris du lundi 27 août 1984 un texte intitulé «Paris-Deauville en 22 Citroën» dont voici les passages les plus marquants :

«Vers le 20 juillet, j'interrompis mes vacances et revins à Paris, le temps de passer l'oral du bac. Je fus reçu. Mon père, enchanté, me dit qu'il me réservait une drôle de surprise en guise de récompense cela dès le lendemain : le trajet Paris-Deauville dans une voiture fantastique dont j'ignorais encore l'existence.

A neuf heures le matin suivant, très excité, je descendis l'escalier quatre à quatre et me précipitai dans la rue Octave Feuillet. Le solide chauffeur Guégan était planté devant une voiture impressionnante, oui vraiment fantastique. J'examinais l'avant de ce véhicule plus long et plus imposant que la «11 », mais aussi élégant. Ce qui me frappait, c'était taille des ailes qui enveloppaient les phares comme pour bien les protéger. Mon père nous rejoignit. Il répondit au salut de Guégan et lui demanda s'il avait fait le plein.

Avec le ton d'un camelot mon père s'écria :

- Mesdames et messieurs, je vous présente une automobile sensationnelle que je baptise aujourd'hui la «voiture de l'année» avant qu'elle ne devienne la «voiture du siècle». c'est la «22» Citroën; elle complète la gamme des «7» et des «11». Son moteur ? Un 8-cylindres en V qui, jusqu'à nouvel ordre sera un moteur V-8 Ford .Guégan, poursuivit-il de sa voix normale, je vais prendre le volant, vous à côté de moi, mon fils montera derrière.

- Stoppons la «22» une seconde pour dire que Citroën détestait conduire En fait il conduisait rarement et très mal. Quand, par exemple, il stoppa la ronde infernale de «La Petite Rosalie» après ses 300000 kilomètres bouclés à Montlhéry, la presse lui demanda de lui faire faire un ultime tour de piste histoire de le filmer et le photographier à bord, il s'installa à regret au volant et, assez crispé, ne parcourut, d'après un témoin de l'événement, qu'une centaine de mètres d'une conduite très incertaine.

Remontons maintenant à la «22»..

La nervosité de la "22" me stupéfie. Et pourtant mon père conduit prudemment.

«Quelle accélération! Le temps de compter jusqu'à vingt et l'on est en prise directe, c'est-à-dire en troisième, et, au démarrage, on n'a plus besoin changer de vitesse, Nous montons en troisième la côte du mont Valérien, au-delà de Saint-Germain, nous nous engageons sur la «route de quarante sous», traversons Mantes, Pacy, Evreux. Pas de halte à la succursale de cette ville : tiens, pourquoi ? Mais, trente kilomètres loin, dans un petit village nommé La Commanderie, la «22» ralentit et s'arrête sur le bas-côté de la route.

- La souplesse et les reprises de cette voiture sont extraordinaires, commente mon père. Tu dois en juger par toi même. Je te passe le volant et je monte derrière. Guégan fronce les sourcils, il va dire quelque chose, mais mon père lui coupe la parole: - Monsieur Bernard sait conduire depuis qu'il a dix ans!

- Oui mais une petite 5 CV n'est pas une grosse 8 cylindres.

- Sans doute, mais Bernard a déjà essayé la «7» de sa soeur Jacqueline.

- Une fois seulement, paraît il.

- Ne soyez pas timoré comme ça!

«J'ai tenu le volant de la «22» à partir de La Commanderie, pendant un quart d'heure. Ce furent quinze minutes éblouissantes. Atteindre en quelques instants sa vitesse de croisière, rouler sans danger à cent vingt, quel délice! Même si le brave chauffeur manifeste son inquiétude en bougonnant. Juste avant les virages serrés de la Rivière-Thibouville, je cédai ma place à Guégan qui me félicita, maintenant rassuré.

«A midi, nous arrivions à Deauville. Je m'attendais à une exhibition triomphale dans le centre ou le long des planches. Il n'en fut rien. Mon père ordonna qu'on aille directement à la villa. Il fit stopper la voiture devant le garage.

- Vous la rentrerez immédiatement, dit il au mécanicien. Vous la couvrirez d'une bâche. Personne ne doit s'en approcher. Faites bien attention la nuit.

- Soyez tranquille, monsieur Citroën, je dormirai dans le garage, par terre, sur un matelas. J'ai le sommeil léger.

André Citroën repartit le surlendemain à bord de la «22» et demanda à Guégan de la rendre aux études de la rue du Théâtre, à M. Prud'homme.»

En conclusion, la «22» est une affaire à suivre........à 140.

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Extrait du livre "22 v'la les tractions" de Fabien Sabates, ed. MASSIN.